Mon Ange, première résidence à 36 du Mois
C’est à Fresnes, dans la belle salle de répétition de la compagnie 36 du mois que démarre notre aventure, avec une semaine de lecture, danse, essais, défrichage, prévue en juillet comme porte d’entrée au projet.
Écrivain cubain, censuré par le régime politique qu’il a contribué à instaurer, William Figueras, le narrateur de «Mon Ange», devient fou. Il émigre aux États-unis en espérant y trouver une issue, mais ne peut adhérer au système qu’il y découvre, faits de «triomphateurs» et d’exclus. Il assume alors cette place de déchu, «d’exilé total». Le texte est un court roman autobiographique. Construit comme une tragédie, il se prête au théâtre dans sa forme lapidaire et dialoguée. Il fait vivre une galerie de personnages branques et cabossés, comme la mascarade d’un carnaval funèbre.
Une histoire d’amour surgit dans ce chaos et éclaire la deuxième partie du récit. La poésie, l’écriture, la peinture y apparaissent comme des issues possibles. Après l’effondrement des idéaux, il faut malgré tout donner du sens au geste artistique. C’est ce que fait Guillermo Rosales dans ce récit : l’amitié, l’amour, l’art, n’y sauvent pas, ils aident à survivre, à espérer, à transcender, ils illuminent le destin tragique de l’homme.
Aurélia Labayle,
Aurélie Vilette
– Willy, me dit-il. Partons d’ici !
Je lui demande :
– Pour aller où ?
– À Madrid. En Espagne. Allons voir le Barrio gótico de Barcelone. Allons voir le Greco dans la cathédrale de Tolède !
Ça me fait rire.
– Un jour nous partirons, dis-je en riant.
– Avec cinq mille pesos, pas plus, dit le Noir. Cinq mille pesos ! Nous allons suivre les traces, toutes les traces, de Hemingway dans The sun also rises.
(…)
– Tu verras tout cela, dis-je. Un jour, tu verras !
– Nous allons nous fixer un délais de deux ans, dit le Noir. Dans deux ans, nous partons pour Madrid.
– C’est bien, dis-je. Deux ans. C’est bien.
De nouveau, le Noir me fixe. Il me tapote le genou affectueusement. Je devine qu’il s’en va. Il se lève, prends dans sa poche un paquet de Marlboro presque plein et me le donne. Ensuite il prend deux quoras et me les donne aussi.
– Écris quelque-chose, Willy, dit-il.
– J’essaierai.
Il rit. Il tourne les talons et s’éloigne. Au coin de la rue, il se tourne et me crie quelque-chose. Cela ressemble au fragment d’un poème, mais je n’entends que les mots « poussière », « silhouette », « symétrie ». Rien d’autre.
Je rentre dans le boarding home.