Boîte à paroles, première

Lundi 27 janvier 2014,

Nous arrivons à l’hôpital Charles Foix. C’est simple nous explique le secrétaire, descendez d’un étage, longez le couloir, tournez à droite, c’est juste après sur votre gauche, dans les quartiers oranges. L’orange ne nous a pas sauté aux yeux. Nous arpentons les magnifiques galeries extérieures, puis des couloirs, des chambres ouvertes, des regards. Nous sommes perdues.
Où se passe la réunion « tour d’horizon » ? « Il n’y a pas d’endroit » nous répond Jérôme Pellerin au téléphone. Nous arrivons. Au milieu d’un cercle, dans le couloir. Enfin, dans l’espace libre, où il y a une télévision éteinte, l’entrée des postes de soin, quelques personnes déjà assises. Hélène Georgiou nous accueille. C’est la cadre infirmière du service de psychiatrie de la personne âgée. Jérôme Pellerin, chef du service, arrive, la réunion commence. Ou plutôt s’installe dans un commencement un peu cahotique. Monsieur C est en peignoir, en émoi. Il s’adresse à une infirmière qui elle même parle à une famille. « Tu viens ? »

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Ce qui frappe immédiatement, c’est la qualité des silences, de l’écoute. Quand une personne occupe le terrain, elle a l’attention de tous. La théâtralité de chaque intervention est aussi incroyablement frappante. Nous apportons le théâtre comme espace de jeu, nous allons en recevoir, et du meilleur.

À partir de là notre projet se met à exister : la rencontre avec l’équipe soignante et les résidants nous traverse. 1 heure de réunion comme un ballet d’émotions et de paroles, d’humour et de mots définitifs.
Des silences, une écoute, les mots voyagent. Des sourires circulent.
Nous présentons nos boites, nos objets, notre projet.
Nous chantons.
Des personnes rejoignent la réunion, l’espace est habité de désir de partir, de construire, de manger, de mourir, de s’organiser …
Silence. On écoute des pas qui traverse le couloir.
Mr R à l’écoute précise « Voilà un pas cadencé…»
Comme un dernier accord.

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Quelques séquences :

Jérôme Pellerin nous présente : « Il y a deux personnes qui sont venues à la réunion : Aurélie Vilette et Aurélia Labayle. Bonjour. Que voulez-vous faire ici Mme Vilette ? de l’animation ? »

Aurélie : « Non, je viens pour vous rencontrer. Vous rencontrer avec le théâtre et la sculpture.» Elle sort des boîtes et des galets.

Monsieur C : « Tu viens !, elle veut pas venir !!»

Madame X : «  C’est difficile, il entre dans toutes les chambres. »

Monsieur C : « Je vais vous dire Messieurs Dames, je vais vous dire ce qui va se passer : je vais mourir. Oui, c’est vrai, je vais mourir ! »

Madame D : «  C’est vrai, c’est difficile. Il entre n’importe quand. Je comprends que ce soit difficile de fermer les portes. Mais on pourrait avoir un petit placard qui ferme à clé. Au moins un petit placard. »

Aurélia parle de ce qu’elle était, comédienne et acrobate dans un cirque. Aurélie a sorti des boîtes, Aurélia pose une balle de jonglage sur le bord. Aurélie lève la boîte et la balle, en équilibre. Moment de suspension, la balle tombe dans la boîte avec un bruit sonore et mat.

Mr A s’exclame : « Elle est tombée. »

Nous chantons une berceuse de Bernard Lubat à deux voix. Mme E chante avec nous, trois voix ténues. Elle ajoute : « C’est bien, elles veulent nous distraire. On en a besoin. On a besoin que des gens viennent nous voir.  »

On entend Mme B : « A quoi ça sert, à quoi ça sert ?…»

Aurélie : « pardon.. je ne vous entend pas.» – se lève et s’assoit à côté d’elle.

Mme B parle un long moment : « Mais on est fou, vous savez on est des fous, on est pas normal, on est malade, vous savez. Parce que le plus dur, c’est qu’on a plus de contact avec l’extérieur, on sert à rien… »

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Aurélie : « Ah oui vous pensez ça, vous pensez qu’on vous voit comme ça ?

Mais vous savez on est peut être un peu fou nous aussi. »

Aurélia : « Oui on sait qu’on vient vous voir à l’hôpital, on vient se rencontrer ici. »

Mme E : « oui on sert à rien, c’est ça qui est dur. On est à l’écart. »

Aurélia : « oui.. Quand j’étais au cirque en caravane, j’étais contente quand on venait me rendre visite. Un jour vous viendrez dans un théâtre ou un cirque et ce sera plus chez nous. »

Mme B en touchant et remuant sa canne: « On est complètement rejeté, ici, c’est spécial, personnes vient nous voir. Ma fille était ouvreuse dans un théâtre à la comédie française. Elle ne m’a jamais invitée. C’est pas la peine, si on est comme dans les camps de concentration, comme pendant la guerre, franchement il n’y a plus rien à faire, on sert à rien, c’est comme dans les camps. »

Mme F sourit, et gratte du bout du doigt son pantalon. Elle murmure : « Oui c’est vrai on est fou. Oui c’est vrai, des fois on est fou. »

Mme E reprend la parole : « Ce qui serait bien, ce serait que l’on puisse afficher les menus à l’avance. »

Mr Pellerin : « C’est une très bonne idée. Qui pourrait s’en occuper ? »

Madame E :  » Sur une feuille à afficher.. pour qu’on soit au courant de ce qu’il y a, comme dans les collectivités, comme dans les écoles, je crois que ce n’est pas compliqué ». Elle cherche l’adhésion auprès de l’infirmière à côté d’elle à chaque phrase.

Une femme en chaussons traîne ses pieds et traverse le couloir.

– Mr Pellerin : » Oui mais qui pourrait écrire cette liste ? « , « Quelqu’un pourrait aller voir le cuisinier pour lui demander. »

Madame E :  » Oui, juste une liste à afficher dans le couloir « .

Madame Y :  » Moi j’étais économe dans une colonie de vacances et on élaborait les menus avec les gens. Il fallait discuter les menus, les décider à l’avance.  »

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Mme E conclut : Mais qu’attendez-vous de nous docteur ? Vous voulez que nous soyons autonomes c’est ça ?

Madame G arrive avec sa valise et son manteau sur le bras, ne dit rien, traverse le cercle de la réunion, s’assoit jambes croisées. (petit tailleur, petite tenue d’avant guerre).

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Une infirmière annonce qu’un résidant du service est en train de monter aux grilles dans le parc derrière le bâtiment.

Madame G se lève brusquement et sort.

Monsieur U ouvre les yeux et la bouche, puis les referme.

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Madame G revient, toujours avec sa valise, et va s’assoir.

Un peu plus tard, Mr C revient aussi et l’interpelle : « Tu viens ? Allez, viens maintenant. »

Arrive Monsieur V, son entrée coupe court à toutes les conversations.

Madame B :  » Mais vous marchez ! »

Monsieur V observe chacun avec un sourire : « J’ai dormi. »

Il découvre Madame F, récemment arrivée dans le service.

Monsieur V : « Vous avez de très jolies pommettes. »

Silence.
Des pas résonnent dans le couloir.

Monsieur R: « Voilà un pas cadencé. »

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Étaient présents: Mr A : «qui fait quoi ?», Mme B : « on est fou vous savez. » , Mr C : « Tu viens ? », Mme D : « C’était dégueulasse ce midi »; « C’est vrai j’ai de la chance », Mme E : « Pouvoir fermer au moins 1 placard à clé… » « Il faudrait afficher les menus, faire une feuille qu’on affiche, comme on fait partout, comme à l’école.. », Mr U : yeux fermés et bouche en U inversée à l’écoute, Mme F avec un petit châle : »Oui c’est vrai des fois on est fou », Mme G : avec son manteau sur le bras et sa valise à la main, Mr V : « Vous avez se très jolies pommettes. » Mme W :  » Je vous pardonne. »
Et Jérôme Pellerin, et Hélène Georgiou, et de nombreux membres de l’équipe, à l’écoute et discrets à la fois.

Aurélia Labayle
Aurélie Vilette

Dessins Aurélia Labayle

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